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Type de textesource
TitreLe Roman de la rose
AuteursLorris, Guillaume de
Meung, Jean de
Date de rédaction:(1305)
Date de publication originale
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Je voudrais bien vous la décrire, mais mes capacités intellectuelles n\'y pourraient suffire. Mes capacités? Qu\'ai-je dit là? Cela va de soi! En vérité, aucune intelligence humaine n\'en serait capable, ni de vive voix ni par écrit, fût-ce Platon ou Aristote, Algus, Euclide, Ptolémée, qui eurent si grande renommée d\'avoir été bons écrivains. Leur intelligence serait à ce point impuissante, s\'ils avaient l\'audace d\'entreprendre la chose, qu\'ils ne sauraient même pas la comprendre; Pygmalion n\'arriverait pas à en faire une statue; c\'est en vain que parasius pourrait s\'y évertuer, et même Apelle que j\'appelle un bon peintre, ne serait jamais en mesure de décrire ses beautés, si longtemps qu\'il vive; Myron non plus ni Polyclète n\'atteindraient jamais cette manière de faire.

Zeuxis même, par son beau talent de peintre ne pourrait arriver à représenter une telle beauté, lui qui pour faire dans le temple l\'image de la déesse prit comme modèle cinq jeunes filles, les plus belles que l\'on put chercher et découvrir en toute la terre, qui ont posé devant lui, en pied, toutes nues pour qu\'il puisse faire attention, en les regardant chacune, s\'il trouvait quelque défaut en l\'une, sur le corps ou sur un membre, comme nous le rappelle Cicéron dans son livre intitulé Rhétorique, qui contient un savoir tout à fait authentique. Mais en la circonstance il n\'eût rien pu faire, Zeuxis, quel que fût son talent à peindre des portraits et à les colorer, tant est grande la beauté de Nature. Zeuxis? Pas uniquement lui, mais tous les maîtres que Nature ait jamais fait naître, car, à supposer qu\'ils aient parfaitement compris toute sa beauté et qu\'ils aient tous voulu employer leur temps à en faire le portrait, ils auraient cependant pu user leurs mains avant d\'arriver à faire le portrait d\'une si éminente beauté. Personne sauf Dieu n\'en est capable. Et parce que, si je l\'avais pu, j\'aurais volontiers au moins compris cette beauté, et que je vous l\'aurais même exposée par écrit si j\'avais pu et su le faire, moi-même j\'y ai passé du temps, au point que j\'y ai usé tout mon esprit; ce fut folie et outrecuidance, cent fois plus que vous ne l\'imaginez, car j\'ai fait preuve d\'une trop grande présomption en mettant mes efforts à l\'accomplissement d\'une œuvre si considérable; mon cœur, en effet, aurait pu éclater, tant je la trouvai noble et précieuse, cette grande beauté que tant j\'apprécie, avant que ma pensée n\'arrive à la comprendre, quels que fussent mes efforts, ou avant que je n\'ose seulement proférer une parole, quelle que fût l\'intensité de ma méditation. Aussi suis-je las de penser et c\'est pourquoi je me suis, dès lors, tu; et quand j\'y pensais, et plus j\'y ai pensé, moins j\'en sais, tant elle est belle.

, p. 848-852, v. 16169-16252

Bien vous la vousisse descrire

Mais mi sens n’i porroit souffire.

Mi sens ? K’ai-je dit ? C’est du mains !

Non feroit voir nus sens humains

Ne par voiz vives ne par notes,

Et fust Platons ou Aristotes,

Algus, Ouclides, Tholomees,

Qui tant orent granz rennommes,

D’avoir esté bon escrivain.

Leur enging seroient si vain

S’ils osoient la chose enprendre,

Qu’ils ne la porroient entendre,

Ne Pàymalion entaillier ;

Parasius, voire Apelles,

Que mout bon paintre apel, les

Biautez de li jamais descrire

Ne porroit, tant eüst a vivre ;

Ne Myro ne Policletus

Jamais ne savroient cest us.

Zeusys neïs par son biau paindre

Ne porroit a tel forme ataindre,

Qui pour faire l’ymage ou tample

De V puceles prist example,

Les plus beles que l’en pot querre

Et trouver en toute la terre,

Qui devant lui se sont tenues

Tout en estant trestoutes nues,

Pour soi prendre garde à chascune

S’il trouvoit nul defaut en l’une

Ou fust sus cors ou fust sor menbre,

Si com tulles le nous menbre

Ou livre de sa rethorique

Qui mout est science autentique.

Mais ci ne peüst il riens faire,

Zeusys, tant seüst bien portraire

Ne colorer sa portraiture,

Tant est de grant biauté nature.

Zeusys ? Non pas, mais tuit li mestre

Que nature fist onques nestre,

Car or soit que bien entendissent

Sa biauté toute et tuit vousissent

A tel portraiture muser,

Ainz porroient lor mains user

Que si tres grant biauté portraire.

Nus fors Dieu ne le porroit faire.

Et pour ce que, se je pouisse,

Volentiers au mains l’entendisse,

Voire escripte la vous eüsse

Se je pouisse et je seüsse,

Je meïsmes i ai musé

Tant que tout mon sens i usé

Comme fous et outrecuidiez,

C. tanz plus que vous ne cuidiez,

Car trop fis grant presumpcion

Quant onques mis m’entencion

A si tres haute oevre achever,

K’ainz me peüst li cuers crever,

Tant trouvai noble et de grant pris

La grant biauté que je tant pris,

Que par penser la compreïsse

Par nul travail que j’i meïsse,

Ne que seulement en osasse

I. mot tinter, tant i pensasse.

Si sui dou penser recreüz,

Por ce me sui atant teüz,

Et quant je plus i ai pensé,

Tant est bele que plus n’en sé.

Car Dieu, li biaus outre mesure,

Quant il biauté mist en nature,

Il en i fist une fontaine

Touz jors corant et touz jorz plaine,

De qui toute biauté desdrive,

Mais nus n’en set ne fonz ne rive.

Pour e n’est froiz que conte face

Ne de son cors ne de sa face

Qui tant est avenanz et bele

Que flor de lis en may nouvele,

Rose sor rain ne noif sor branche,

N’est si vermeille ne si blanche.

Si devroie je comparer,

Quant je l’os a riens comparer,

Puis que sa biautez ne son pris

Ne puet estre d’omne compris.

Dans :Zeuxis, Hélène et les cinq vierges de Crotone(Lien)